Vincent nous parle du Darfour

Vincent est au Drafour, en mission humanitaire. Par mail, il nous a envoyé sa vision des choses par mail. Je publie son texte ici avec son accord, en supprimant toute référence au nom de l’ONG pour laquelle il travaille.

Précision : son mail date d’avant l’affaire de l’Arche de Zoé.

C’est un peu long mais ça vaut le coup.

Allez, je prends un peu de temps pour essayer d’éclairer deux trois points qui puissent vous chatouiller et vous intéresser. A propos du Darfour, dont vous et moi n’avons qu’une vision partielle. Pour voir ce qu’il s’y passe. Le but de mon boulot ici. Bonne lecture. Mail écrit en plusieurs fois pour faire le tour de la question.

Que se passe-t-il exactement au Darfour ?

Il faudrait s’imprégner de plein de documents, livres, témoignages, autres, et suivre l’actualité du terrain à plein temps pour espérer comprendre. Je n’en suis pas capable et bien peu le sont. Quant à prévoir, on en est tous incapable.
Il y a au Darfour, pays grandement désertique mais arrosé d’une belle saison des pluies qui le fait vivre, 25 groupes rebelles (c’est-à-dire qui rejettent l’accord de paix signé en 2006), un grand nombre de tribus différentes (600 m’a-t-on dit) aux relations complexes. Au mieux, je peux vous faire un résumé du contexte local.

Ici, c’est la limite sud du conflit. Les Rezeigats, majoritaires à El Daien (ma ville), sont neutres, ils ont tout à perdre dans un conflit avec tel ou tel parti. El Daein est en revanche un lieu d’accueil (en ce moment, c’est le cas) de déplacés des conflits au Nord d’ici. Au nord est, le gouvernement se bat assez férocement avec des groupes rebelles. Aucune source extérieure n’a accès à la zone. Au nord et nord ouest, les milices dites « arabes » (des nomades à chameau) attaquent les villages de résidents et les vident. Au printemps, ils ont déjà brulé une partie de ces villages. La politique de la terre brulée pour augmenter l’espace de paturage de leurs bêtes. Car oui, ces nomades sont bloqués vers le nord dans leur route traditionnelle de migration par d’autres groupes sédentaires. Ces nomades ont l’aval, les yeux fermés, du gouvernement. Ils s’attaquent en effet au principal groupe rebelle du Darfour, Les Zaghawas.

Les habitants de ces villages s’installent donc ici, à El Daein, dans un camp de IDPs (Internal Displaced People), dont certaines ONG s’occupent. Tous les coins ont leur problematique, toutes différentes, dont la principale est une sorte de fragmentation du conflit, des zones avec des commandeurs locaux auxquels on peut difficilement se fier. Car en cas de conflit entre deux grands protagonistes, il est finalement beaucoup plus facile de négocier et faire assurer sa sécurité, que dans un contexte où chaque petit groupe cherche des trésors de guerre, à savoir véhicules tout terrains et téléphones satellites.

Au fait, pourquoi tout le monde se bat contre tout le monde ?

Eh bien, plusieurs problèmes.

Problème foncier historique : les terres (dar) appartenaient historiquement à la tribu four (le dar-four) qui les répartissait entre les tribus présentes sur chaque zone. D’où querelles et jalousies historiques, mais limitées cependant.

Problème écologique : avec les sècheresses et une certaine pression démographique, il n’y a plus de place pour tout le monde, nomades et sédentaires. Du moins pas avec les modes de vies traditionnels et les faibles, très faibles atouts techniques de la région, toujours délaissée par le gouvernement central. Les nomades ont besoin d’espace le temps de leur migration, les sédentaires plantent à la même saison des pluies. La saison des pluie est la chance de ce pays, mais en conséquence elle est porteuse de conflits récurrents.

Problème ethnique, dont la source principale est cette situation de terrain de guerre larvée entre le Tchad et la Libye dans les années 80, Khadafi contre Issène Habré. Qui ont chacun joué sur une supposée appartenance de chaque tribu à une population « arabe » (supposée nomade à la base) ou « africaine » (sédentaire, mais ce n’est pas toujours vrai, bien sûr). C’est maintenant de pire en pire.

Problème politique : le conflit dans le Sud Soudan a donné des velléités de revendication politique aux populations locales, qui veulent un partage des richesses énormes du pays, énorme producteur de pétrole.

La force hybride des UN (Unamid), ça va changer quoi ?

Eh bien, tout le monde se fout sur la gueule avant l’arrivée des UN, pour négocier en position de force.

Ensuite, l’arrivée sera tardive (cours de l’année prochaine). Si c’est la saison des pluies, ils peuvent ranger leur matos pendant 3 mois… Les ânes iront plus vite que leurs véhicules embourbés…

Enfin, aucun usage de la force de l’Unamid en dehors des camps. Le gouvernement a plutot intérêt à ne plus voir de camp donc, mais les gens dispersés à la campagne. Or comme par hasard, certains gros camps ont connaissent un regain de violences internes… Donc les comptes pourront se régler à la campagne, et la campagne est grande au Darfour, grande comme la France.

Et rien ne se fera à l’ONU tant que la Chine et la Russie ne changeront pas de position, problème strictement pétrolier donc.

Est-ce que ça craint coté sécurité ?

Eh bien, oui, et non. On est sensé travailler en zones de campagne, et les conditions de sécurité ne sont pas assurées : on n’y est donc pas allé depuis mon arrivée. El Daein a des soubresauts de temps à autre, mais rien de méchant. En ce moment, c’est Ramadan. On sort très peu finalement.

En revanche, les autres de bases de mon ONG sont sur le qui-vive, rien n’est jamais assuré ici.

C’est quoi mon taf ici ?

Comment être fatigué et débordé de boulot quand on ne va pas sur le terrain ? D’abord, mon ONG. La mission ici est quasiment la plus grosse de l’asso historiquement. Près de 45 expats, plusieurs projets et donateurs (union européenne, US, les anglais, les français) pour plusieurs millions d’euros. Si la mission bugge pour x raison, c’est l’ONG qui risque de couler.

Conséquence suivante, pas facile de gérer une grosse mission quand on est une asso de taille moyenne, avec peu de fonds propres. MSF (par exemple) a plein d’argent, tant mieux, ça permet des conditions de travail parfois plus facile. Nous, près de 90% du budget donné par les donateurs, doit aller au terrain, à l’opérationnel. Donc, on ne roule pas sur l’or, loin de là, chaque dépense est pesée. Les postes sont le plus souvent des volontaires, quelque fois des salariés, mais ça gagne pas gros, faut être motivé.

Dernière difficulté interne, recruter. On n’a par exemple pas de chef de base depuis un mois et demi, encore peut-être pour quelques semaines, donc faut se partager les responsabilités. Le Darfour se vend mal en France. De plus, problème plus général, les ONG françaises payent peu, contrairement aux anglophones. Ce qui donne des résultats assez déroutants.

On a plutôt tendance à avoir des jeunes (moyenne de mon ONG au Soudan : 29 ans !), motivés, pauvres (souvent au RMI au retour) et qui bossent comme des ânes. Et d’après confidence d’un canadien bossant pour une ONG anglophone, de l’autre coté on a des gens expérimentés, motivés par l’argent, à l’esprit fonctionnaire (genre je me fais payer les heures sup… véridique). Y aurait-il un juste milieu ?

Le boulot. Eh bien, le camp de IDPs, El Neem, dont j’ai parlé plus haut. Après moultes hésitations, nos chefs à Nyala ont décidé qu’on pouvait s’engager à bosser dans cette zone. Il s’agit des mêmes personnes qu’on aurait aidé dans leur village d’origine. De mon coté, construction de latrines (trou dans la terre, panier en osier, bache plastique autour). 140 à faire cette semaine. Mais ça passe par une registration des personnes, pour avoir un chiffre à peu près fiable. El Neem C, la partie du camp dans laquelle on bosse, c’est 3 400 familles, soit près de 20 000 personnes… 1 latrine pour 4 familles. Et de la promotion à l’hygiène et la santé. Utilisation des latrines, distribution de savons, distribution de moustiquaires bientôt.

A la campagne, si on y retourne, rénovation de points d’eau, c’est-à-dire remplacement des pompes (l’eau est à 100m de profondeur dans les forages, une pompe coute cher…), construction des points d’eau en surface pour éviter que les bêtes et les hommes se mélangent trop. J’espère qu’on pourra le faire.

Et puis des réunions, les autorités, les mouvements de population à essayer de suivre. On a aussi décidé de s’engager avec des projets Unicef pour la rénovation d’écoles dans le camp, intéressant, c’est mon collègue qui s’en charge. On essaie de récupérer du matos avant qu’il se fasse bombarder…

Bref, on nage entre l’attrait du terrain (on est quand même là pour ça, pour aider les gens), la frustration du terrain, les exigences de tous les cotés, bailleurs et hiérarchie, le plaisir de travailler avec des Soudanais, la lassitude de travailler tout court, l’envie de se poser et discuter avec les gens, c’est-à-dire se comporter en humain normal. Regarder les gens et écouter les oiseaux et le contraire aussi. L’expérience humanitaire est une expérience complexe !

Depuis, Vincent a envoyé ce rapide commentaire à propos de l’Arche de Zoé :

Pour l’affaire de l’arche de Zoé, au-delà du coté navrant du truc, du coté encore plus navrant des journalistes qui n’ont pas mis un pied ici voir ce qu’il se passe, ce sont les autorités locales qui cherchent toutes les occasions de nous enfoncer un peu.

Ce n’est pas spectaculaire, mais le représentant d’OCHA, qui est l’agence des Nations Unies pour la coordination des humanitaires, donc quelqu’un d’important, s’est fait jeté hier comme un malpropre de Nyala, le QG des ONG.

Les UN n’ont guère moufté. Conclusion: toutes les ONG qui sont dans le collimateur des autorités n’ont qu’à bien se tenir, sinon, ils savent ce qu’elles risquent.

Avec en toile de fond l’évacuation « trouble » d’une partie d’un camp de Nyala, qui rassemble 80 personnes. Cela malheureusement, ce ne sont pas les journaux français qui en parleront…

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