Le Tour du Grand Veymont a sa petite réputation parmi les compétitions de ski-alpinisme, et ce grâce à sa classe : la course propose la traversée intégrale du point culminant du Vercors (le Grand Veymont), avec de vrais morceaux d’alpinisme, skis sur le sac et crampons aux pieds. Mais cet itinéraire technique et délicat n’est pas forcément praticable à chaque édition. Ce parfum d’exception, d’instants volés, ajoute à la réputation. Cette année, les conditions ont permis aux organisateurs d’ouvrir toutes les sections du parcours. Du coup, 182 coureurs sont venus voir de quoi il en retournait. Découverte de la compétition de ski-alpinisme, à travers les yeux d’un bénévole.
Le passage phare du Tour du Grand Veymont, c’est l’arête de l’aiguillette: aérienne, effilée, superbe. Mais aussi longue, technique et raide : quatre cent mètres de dénivelée en crampons, à piétiner dans la trace, longé sur la main courante. C’est là que la course se met en place. C’est aussi là que nous nous étions postés pour photographier les concurrents.
A 6h du matin, on comptait environ 25 halos de lampes frontales montant en zigzags dans la combe sous l’arête. Les bénévoles montaient se positionner le long des 600 mètres de corde fixes posés les jours précédents. Perchés au vent dès 7 heures du matin, ils ont achevé de terrasser les plateformes qui permettent aux coureurs de se doubler, de réajuster leurs crampons ou de poser leur sac sans créer d’embouteillages. Ils sont également là pour veiller à ce que tout se passe bien : assister les coureurs en cas de problème, vérifier que les passages des fractionnements (1) sont effectués correctement, et que les règles de sécurité sont respectées.
La passion de la course a ses raisons…
A 9h30, les premiers coureurs sont là, 1h15 après le départ donné à Gresse en Vercors (au fond de la vallée, à nos pieds). Les premiers, ce sont les stars, ceux dont tous les initiés connaissent le palmarès : Pierre Gignoux, Marc Buisson, Anthony Fraissard, etc. Dans le peloton de tête, l’état de fraîcheur diffère d’un concurrent à l’autre. Certains serrent les dents et respirent déjà très bruyamment, d’autres semblent se balader.
Mais ils vont tous très vite, et sont parfaitement concentrés. Ce qui ne les empêche pas de saluer les bénévoles, et surtout de souligner l’esthétisme du parcours.
Puis viennent ceux qui courent contre eux-mêmes, pour aller au bout des 1675 mètres de dénivelée dans le temps imparti. Et pendant un instant, perché là-haut, on croit saisir le sens de cette souffrance qu’ils s’infligent tous : pousser son cœur à fond au point de manquer d’air, et sentir la douleur dans ses cuisses à chaque pas, ça pourrait être les caractéristiques d’un sport de piste. Mais sur l’arête de l’aiguillette du Veymont, on comprend que c’est aussi une autre manière de faire de la montagne, qui ne fait pas forcément injure à la beauté des paysages.
Sur l’arête sommitale du Grand Veymont
Une fois les derniers concurrents passés, nous leur emboîtons le pas pour aller honorer le Grand Veymont. Au sommet de l’aiguillette, il faut ranger les crampons et remettre les skis pour descendre de quelques centaines de mètres… puis remettre les peaux de phoques sous les skis et attaquer la longue remontée de l’arête sommitale. En plus de la préparation physique, ce sont aussi ces moments qui font la différence : les manips’. Chaque fois, on peut gagner ou perdre de précieuses minutes.
A mi-pente, les bénévoles ont installé un poste où les coureurs doivent à nouveau mettre les skis sur le sac et chausser les crampons : le cheminement jusqu’au sommet est en neige très dure, et il surplombe une grande pente dont la perspective s’achève sur le plateau du Vercors, quelques centaines de mètres plus bas. L’arête sommitale s’étire, de bosse en bosse, laissant croire à chaque fois que le point culminant est atteint… jusqu’à ce que la bosse suivante se découvre. Le cramponnage fait vibrer les muscles des cuisses à chaque pas, et le vent fait vaciller les skis sur le sac. Arrivé au sommet du Grand Veymont, ils sont là aussi : les bénévoles, qui endurent le vent glacial et les volutes de neige qui fouettent le visage.
Skier sur des oeufs
Le parcours de descente est jalonné de fanions rouges : une grande traversée qui cherche les zones de neige tendre. Encore un paramètre qui fait la différence : la neige est très dure, tendue, mais il faut filer vers la bas, même si les cuisses n’en peuvent plus. C’est là que l’on gagne encore un peu de temps, même si dessous la pente est toujours aussi impressionnante.
A la montée, en voyant la vitesse à laquelle avancent les bons skieurs, on se dit qu’ils sont bien entraînés. Mais à la descente… je cherche encore l’explication. Ils ont tout donné jusqu’au sommet, mais ils descendent encore comme des fusées sur cette glace blanche ! Pour ma part, je garde les crampons sur le premier quart, et ne chausse les skis qu’après avoir foulé une neige plus clémente.
Restent les 150 mètres de remontée jusqu’au Pas de la ville, pour lesquels il faut bien trouver encore un peu d’énergie. Puis la descente sur Gresse en Vercors, avec une bonne neige agréable à skier. Mais qu’importe, on n’a plus la force de profiter du bon ski… Il faut descendre, foncer vers la ligne d’arrivée en évitant le dernier piège : rater un virage dans l’étroit chemin qui se faufile entre les arbres, juste avant Gresse.
Gresse, enfin
Le Grand Veymont domine le village. Du foyer de ski de fond, on peut parcourir du regard toute l’arête sur laquelle on vient de lutter, de l’aiguillette jusqu’au sommet. Et dans le foyer de ski de fond, on peut boire un coup avec les hommes et les femmes, les vétérans et les espoirs, les skieurs et les surfeurs, avec qui ont vient de partager cette bonne tranche de montagne. Le circuit de compétitions ne fait que commencer.
Tous les résultats du Tour du Grand Veymont sur le site de Dauphiné Ski Alpinisme, et mes photos sur Flickr.
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1) Fractionnement : jonction entre deux cordes. Les coureurs sont obligés d’enlever leur mousqueton de la main courante pour le remettre de l’autre côté du fractionnement.